« Couvrez ce sein que je ne saurais voir !»*

Je vais sans doute, par mes propos d’aujourd’hui, jeter un pavé dans la mare des femmes qui se battent pour l’allaitement. Peut-être même m’attirer les foudres de certaines. Tant pis. Je ne crois pas que l’on puisse m’accuser de ménager ma peine pour parler encore et toujours d’allaitement maternel et pour apporter ma petite goutte à ce que les choses bougent en sa faveur en France. J’invite celles et ceux d’entre vous qui ne me connaissent pas à lire les autres articles de ce blog ou à découvrir mon travail de consultante en lactation IBCLC, et notamment l’exposition et le livre que j’ai créés avec la photographe Laura Boil, en se rendant sur le site www.allaitement-achacunsonchemin.com. Ensuite, seulement ensuite, vous pourrez éventuellement crier au loup dans la bergerie 😉

A mon sens, l’allaitement devrait redevenir un acte d’une banalité affligeante, une action quotidienne qui ne soulève aucun commentaire, n’attire aucun regard positif ou négatif, puisse avoir lieu partout et en toute circonstance.

maudclarisse_05siteMais, car oui, il y a un mais. Un mais qui ne veut surtout pas annuler tout ce que je viens d’écrire. Qui apporte juste une nuance à mes mots. Je peux comprendre que l’on soit gêné par un sein totalement dénudé qui nourrit un tout-petit. Je peux entendre que l’on n’ait pas envie de voir une poitrine bien en chair inconnue se balader juste sous notre nez au cours du dîner. Je peux concevoir que l’on devienne entièrement réfractaire à l’allaitement, voire qu’on le critique de manière systématique, s’il nous est arrivé, ne serait-ce qu’une seule fois, d’assister à un allaitement mené « tous seins à l’air » dans un lieu auquel on ne s’attendait pas à cette scène.

Pour moi, en matière d’allaitement, l’ostentation systématique est contre-productive : elle aboutit à l’effet inverse recherché, à un rejet, à un dégoût, à la stigmatisation d’un acte pourtant si beau et si naturel.

Vous me direz des femmes se montrent « top less » sur la plage, dans les magazines, dans les films sans que cela ne choque personne. Ok, notre société s’est habituée à la nudité « instrumentalisée », source de fantasmes sexuels en tout genre, c’est un fait. Pensez-vous que cela serait la même chose si elles se promenaient ainsi au supermarché, au bureau, ou à la salle de gym ? Nous ne vivons pas dans un pays où il est commun d’avoir tout ou partie de notre corps dénudé, si tel était le cas, j’aurai suivi le mouvement avec joie, cela aurait été tellement plus simple pour allaiter (quoique je ne sois pas certaine que la blancheur de ma peau ait résisté longtemps à l’enthousiasme du soleil…). Tout est question de mesure, de respect de soi-même, des besoins de bébé, et des gens que nous côtoyons.

J’ai allaité partout, vraiment partout : rues, musées, supermarchés, transports en commun, églises, marches d’escalier d’un grand magasin, plages, aires de repos, refuges de montagne… Et pas question pour moi (cela n’existait pas à l’époque et tant mieux !) de revêtir une de ces affreuses capes d’allaitement qui en plus d’être laides, cachent la plus belle merveille qui soit au monde, notre bébé. Un tee-shirt qui se lève, un autre qui se baisse, et hop le tour est joué. Si l’on veut voir ce qui se passe vraiment, on le voit, sinon on passe son chemin. Souvenir du métro parisien : bébé au sein, en face de moi une vieille dame musulmane. Nous avons échangé un regard plein de connivence, que de bienveillance dans cet échange muet !

J’ai entendu des femmes dirent « j’ai dégainé mon nichon » pour contrecarrer un propos ou un regard désagréable sur le fait qu’elles nourrissaient leur bébé à leur sein. Comme si leur corps était une arme. Comme si leur sein ne méritait pas de porter un joli nom. L’allaitement ne mérite ni combat, ni guerre. Il vaut bien mieux que cela. Le plus joli des sourires, un bisou sur le front de bébé et un allaitement qui se poursuit envers et contre tout (tous ;)) me paraissent être bien plus efficaces pour, doucement mais sûrement, faire avancer la cause qui nous tient tant à cœur.

Je continue à rêver…

* Tartuffe de Molière, acte III, scène 2

7 commentaires sur “« Couvrez ce sein que je ne saurais voir !»*

  1. Je comprends votre point de vue, et oui je peux comprendre que l’on ne soit pas habitué à la vue d’un sein nu. Mais allaiter avec discrétion demande d’avoir réfléchi à sa tenu longtemps le matin, ou de n’avoir que des vêtements d’allaitement, de ne plus pouvoir porter 80 % de sa garde robe. Je veux pouvoir m’habiller comme d’habitude, enfiler le premier t-shirt venu ou remettre ce joli haut, et pouvoir allaiter mon enfant. Allaiter discrètement rajoute encore une contrainte aux jeunes mères, et n’incite pas à allaiter au delà des premiers mois.

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    1. Je n’ai jamais de ma vie porté un vêtement d’allaitement ! L’aspect compliqué de la discrétion c’est plus l’idée que l’on s’en fait que la réalité… Et attention je n’ai jamais parlé de se cacher et je ne dis pas qu’il ne m’est pas arrivé de laisser passer un sein par ci par là 😉 Merci pour avoir partagé votre avis.

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  2. Tout à fait d’accord aussi !
    J’allaite à peu près partout aussi, mais je m’arrange pour « brancher » (je dis plutôt « ventouser » mais c’est affectif ^^ je les appelle « mes petites ventouses ») mon petit discrètement et ensuite avec les vêtements adaptés, sa tête cache tout ce qu’il y aurait à voir. Même souvent des gens s’approchent pour voir le bébé (c’est fou ce que ça attire, un bébé) puis se rendent compte qu’il mange et se retrouvent gênés !
    Je pense qu’en 2,5 ans d’allaitement pour le grand et 1,5 mois (parce qu’elle a 1,5 mois, mais on n’a pas fini !) pour la petite, personne n’a vu mes seins, que ce soit dehors ou même chez moi, je suis bien trop pudique pour ça. Et je n’ai en effet pas particulièrement envie de voir les seins des autres non plus, même si je n’en suis pas « choquée » mais je comprends qu’on puisse l’être.

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