Aujourd’hui, je vais être très très bavarde après un long silence de 4 mois (désolée…). J’espère que vous aurez plaisir et intérêt à me lire jusqu’au bout. Il faut dire à ma décharge qu’il y a de quoi parler sur le sujet que j’ai choisi d’aborder.
Un allaitement peut être douloureux, un bébé allaité peut ne pas prendre suffisamment de poids pour de nombreuses raisons dont l’une des principales reste un mauvais positionnement de sa bouche sur le sein de sa maman, une ouverture de bouche insuffisante. Non seulement bébé peut alors blesser maman, mais son manque d’efficacité va aussi empêcher l’installation d’une lactation optimale (d’où un éventuel problème de prise de poids à court ou plus long terme).
Attention : n’oublions pas que ces problèmes ne sont pas une fatalité et ne sont pas systématiques, même si en France allaitement maternel = douleur, bien trop souvent. Il est également vrai que le temps est un allié en matière d’allaitement : chacun apprend à allaiter et à téter en le faisant. Il est donc important de différencier une « gêne » liée au manque d’habitude (j’aime à dire que nos seins sont habitués à des caresses nettement plus douces que la succion d’un nourrisson 😉 ) qui passera probablement avec le temps, et une douleur, qui a très certainement une cause.
En tant que consultantes en lactation IBCLC, nous avons pour tâche de mener l’enquête avec les parents pour comprendre pourquoi ces difficultés existent et de chercher la solution la meilleure pour chaque dyade maman/bébé (travail sur la mise au sein, position différente, séance d’ostéopathie, « pause-allaitement » avec don de lait au DAL* au doigt, etc.).

Parmi les causes de ces problèmes, la présence chez bébé d’un frein de langue** trop serré (ou ankyloglossie) est à envisager. Cette membrane rattachant la langue au plancher buccal peut, si elle est trop courte, empêcher une bonne mobilité de celle-ci ainsi qu’une ouverture correcte de la bouche. Petit exercice pratique : bloquez votre langue derrière vos dents inférieures et essayez de parler, d’avaler, d’ouvrir la bouche… On se rend vite compte que tout est plus compliqué.
Quand nous sommes appelées par des parents pour les accompagner dans l’allaitement parce justement ils rencontrent l’une et/ou l’autre de ces difficultés, s’assurer de la présence éventuelle d’un frein trop court fait donc partie, entre autres, des questions que nous allons nous poser.
Au cours de la consultation, qui dure environ 2 heures, nous avons la possibilité de voir comment bébé se comporte au sein. Ceci, associé à nos connaissances en allaitement, nous permet de prendre en considération son efficacité ou sa non-efficacité. Si nous suspectons un frein de langue court nous invitons les parents à se rapprocher d’un ORL ou d’un pédiatre, afin que celui-ci confirme ou non notre interrogation et réalise une section du frein (geste certes douloureux mais extrêmement bref, à peine 1mn, qui peut se faire à tout âge sans anesthésie générale). Et c’est là que le découragement nous guette : à Toulouse (c’est le cas sur la majorité du territoire français) il est vraiment très difficile de trouver un praticien qui prenne en considération nos remarques, et qui accepte et sache effectuer la section du frein sur des nourrissons sans anesthésie générale.
Des petites histoires vraies ?
Allons-y. Je vois en consultation bébé G., 2 semaines, et sa maman. Celle-ci, infirmière, est inquiète car elle trouve que son petit s’agace très facilement au sein et semble le rejeter dès que le lait arrive plus doucement. De peur qu’il manque de lait, elle lui propose

vraiment très fréquemment et alterne également fréquemment les deux seins. La prise de poids est plus que bonne : 75 grammes par jour (en moyenne on parle de 25 à 30 g. quotidiens). Je constate que bébé G. n’est absolument pas efficace dans sa tétée, il ne «s’accroche » pas au sein, est satisfait quand le lait coule tout seul et commence à s’agiter dès que ce n’est plus le cas. Je remarque la présence d’un frein de langue postérieur.

Rendez-vous est pris avec une pédiatre connue pour accepter de sectionner ce type de frein, en cabinet, sans anesthésie générale (bref LA perle). Le verdict tombe : il y a bien un frein mais la prise de poids est positive donc pas besoin de sectionner. Une oesophagite est diagnostiquée (rien d’étonnant avec la sur-stimulation menée par maman, action nécessaire car elle a permis à bébé de prendre du poids malgré son inefficacité). Conseil est donné d’espacer les tétées. Maman décide de faire confiance à la pédiatre. Résultat : bébé est très vite en mixte car la lactation devient rapidement insuffisante toujours en raison du manque de tétées efficaces (Rappelons juste en passant qu’un bébé allaité qui souffre d’oesophagite a besoin de tétées courtes et rapprochées…et que la lactation se maintient à la seule condition que bébé tète en moyenne 8 à 12 fois par 24h…). Un allaitement qui risque fort de ne pas durer longtemps et qui en tout cas ne répond pas au souhait initial exprimé par la mère lorsque je l’ai rencontrée.
En voici une autre : une de mes collègues reçoit une maman d’un bébé de quelques jours

qui a des douleurs insupportables aux seins, des crevasses terribles, une réelle détresse de ne pas parvenir à allaiter paisiblement. Cette fois encore un frein de langue postérieur est observé. L’ORL consulté le constate lui aussi mais… « Ce ne peut pas être cela la cause des douleurs » et refuse de sectionner le frein. Que va faire cette femme qui se fait violenter 8 à 12 fois par 24h. ? Fort probablement sevrer, avec un sentiment d’échec, une grande tristesse et un discours ne parlant que des douleurs insoutenables de l’allaitement. Cela est normal et humain. Je le dis et le redirai toujours : aucune mère n’a à se sacrifier pour son enfant.
Entendons-nous bien : notre travail consiste à aider les femmes à vivre au mieux leur allaitement. Le frein de langue peut être une entrave à un allaitement harmonieux, nous le constatons tous les jours. Ignorer cette possibilité, l’écarter d’emblée, s’apparente à de l’incompétence, tout comme le fait de la considérer à l’exclusion de toute autre. Il ne s’agit pas de sectionner un frein pour le sectionner, il ne s’agit pas d’une « mode » que nous avons soudainement décidé de mettre au goût du jour, il s’agit d’avoir une vision à long terme sur l’allaitement souhaité par la mère…

Heureusement, il y a aussi des histoires positives… Une maman qui ne souffre plus du tout, son bébé mis au sein immédiatement après la section du frein de langue antérieur. – Une autre dont le bébé de 6 jours ne tétait pas du tout (il était en incapacité de « faire le vide » sur le sein, de « s’accrocher »), frein postérieur sectionné à 11 jours (par la pédiatre mentionnée dans ma toute première histoire 😉 ), bébé se met à téter de manière exclusive à… 23 jours ! (Grâce à des parents extrêmement motivés, à un arrêt total des biberons remplacé par un DAL* au doigt, et du peau à peau +++) – Un tout-petit dont les parents font 3 heures de route pour rencontrer un professionnel de santé qui sectionne son frein de lèvre supérieure et qui, enfin, cesse de faire mal à maman – Ou bien encore celui-ci, ayant du mal à « décoller » au niveau de sa prise de poids, à qui des séances d’ostéopathie ont permis de libérer des tensions qui « tiraient » la langue vers l’arrière, pouvant faire croire à un frein trop serré, et qui réussit à être efficace dans sa tétée.
Je lance donc un appel : si vous connaissez (ou êtes 😉 ) des professionnels de santé prêts à dialoguer, à se former, à chercher des solutions pour le plus grand bien de tous, sur Toulouse ou au moins en Occitanie, je suis preneuse !
Et j’essaie donc de continuer à rêver qu’un jour les choses puissent changer…
NB Le frein de lèvre supérieur (membrane reliant la lèvre à la gencive) peut lui aussi avoir un impact négatif sur l’allaitement, empêchant une bonne ouverture de bouche, créant blessures et mauvaise prise de poids. Il est lui aussi à prendre en compte.
* DAL Dispositif d’Aide à la Lactation
** En savoir plus sur les freins de langue : https://www.lllfrance.org/1679-aa-95-freins-de-langue-freins-de-levre-des-freins-a-lallaitement
*** Classification des IBCLC