« Bon, Madame, maintenant ça suffit les compléments à la seringue, l’allaitement, tout ça, il faut lui donner un biberon à ce bébé, il faut arrêter d’être égoïste ! » Voici les propos tenus par son gynécologue à une jeune maman d’un bébé de 6 semaines. Cela faisait juste 6 semaines qu’elle soulevait des montagnes pour faire en sorte que son bébé reçoive ce que la nature a prévu pour lui : le lait de sa maman. J’accompagnais cette jeune femme dans son allaitement. Elle m’a appelée après sa consultation : je n’avais plus qu’à la « ramasser à la petit cuillère » tellement elle avait été blessée, chamboulée et totalement désorientée par cette assertion terriblement culpabilisante et jugeante.
Autre histoire, autre contexte : bébé de 3 mois, maman grippée, le médecin refuse de prescrire quoique ce soit sous prétexte qu’il est égoïste d’allaiter encore, que cela n’apporte plus rien au bébé, que c’est juste pour le plaisir de la maman. Heu… quelqu’un peut m’expliquer là ? Méconnaissance totale de l’allaitement et de son contexte médical (bien sûr qu’il est possible de se soigner quand on allaite !), associée à un commentaire sexiste déplacé, ou je me trompe ? Il est certain que le PLAISIR est un mal épouvantable. Surtout pour une femme. Je retiens mon commentaire mais je n’en pense pas moins…
Allez encore une autre : une jeune femme demande à sa belle-sœur allaitante si elle a déjà tiré son lait pour que le papa puisse aussi nourrir son fils. Devant la réponse négative de la maman, elle s’exclame « Et ça ne te gêne pas qu’il ne puisse pas lui donner du lait lui aussi? Franchement, c’est pour ça que je trouve les mamans qui allaitent complètement égoïstes ! » Heureusement, dans cette histoire, le papa est (vaillamment 😉 ) intervenu, signifiant qu’il n’allait quand même pas priver le bébé de ce beau lien qu’il tissait avec sa maman et que son tour pour le nourrir viendrait bien assez tôt ; qu’il trouvait triste que l’on pense que le seul moyen de s’occuper de son enfant était de le nourrir : il avait mille autres moyens de se lier à lui. Bien dit !
Que dit le dictionnaire Larousse, quant à lui, de l’égoïsme ? « Egoïsme : attachement excessif porté à soi-même et à ses intérêts, au mépris des intérêts des autres. »
On comprend de suite mieux en quoi une mère qui allaite est égoïste :
- elle répond 24h/24h aux besoins de son enfant en le nourrissant notamment en moyenne 8 à 12 fois par 24H ;
- elle préfère donner à son bébé un lait adapté à sa physiologie, plutôt qu’un lait artificiel, utile dans certains cas, mais néanmoins pâle reflet du lait maternel ;
- quelles que soient les éventuelles difficultés rencontrées, elle va chercher tous les moyens possibles pour faire en sorte de réussir à poursuivre son allaitement ;
- si l’allaitement est douloureux (ce qui n’est pas une fatalité, ne l’oublions surtout pas), elle va parfois serrer les dents en « attendant que ça passe » (un peu trop souvent à mon goût, aucune mère ne devrait JAMAIS sacrifier son bien-être pour celui de son bébé), ou bien encore elle va chercher une solution pour continuer à allaiter sans souffrir ;
- enfin, horreur de l’horreur, elle peut même prendre PLAISIR à allaiter son enfant.
La conclusion s’impose d’elle-même non ? Une mère qui allaite méprise évidemment totalement les intérêts de son enfant… Arghhhhhhhh ! Je ne peux cesser de m’interroger : comment et pourquoi peut-on en venir à penser qu’allaiter c’est égoïste ? Comment et pourquoi une mère peut-elle se dire elle-même : « je ne voudrais pas que si je continue à allaiter ce soit par égoïsme… » ?
J’avoue ne pas trouver de réponse. Très clairement, il y a là un problème de société, une vision totalement erronée de l’allaitement, un diktat sur ce qu’est la « bonne » ou la « mauvaise » mère, une peur viscérale de la « fusion » entre un bébé et sa maman (temporairement nécessaire et constructive selon moi, car créatrice de confiance et d’autonomie chez le tout-petit). Ce à quoi j’ajouterais même une curieuse façon d’aborder la notion de plaisir féminin…
Pour conclure, dernière petite histoire vraie : bébé a un frein de lèvre épais qui empêche sa bouche de s’ouvrir grand ce qui blesse maman. Celle-ci ne veut pas faire sectionner ce frein se disant que ce serait par pur égoïsme puisque c’est « juste » pour son confort. Et puis elle chemine. Elle avait pour projet un allaitement long (ou non-écourté, bref en France plus de 6 mois) parce qu’elle était certaine que son lait était celui qui était adapté à son bébé. Seulement, avec cette douleur permanente, l’allaitement devient difficile pour elle et elle est de plus en plus tentée de l’arrêter. Elle réalise peu à peu que si elle décide de faire cette petite intervention sur son bébé, lui aussi en bénéficierait puisqu’il serait allaité plus longtemps. Elle a alors entrepris un parcours du combattant (je peux vous assurer que cela l’a été, aucun professionnel de santé toulousain n’acceptant d’effectuer ce geste…) pour faire sectionner le frein.
Bébé a pu être allaité comme sa maman le souhaitait. Pour son plus grand bien. Dans son propre intérêt. Et oui, maman y a également trouvé son compte, ce qui est tout aussi important : l’allaitement, n’est pas « seulement » une manière de nourrir, c’est une rencontre, une question d’équilibre entre deux êtres ; il est primordial que chacun en tire bénéfice.
NB Pour les personnes qui me suivent régulièrement, petite explication de mon silence de ces derniers mois : il en est de l’inspiration comme d’une plume qui vole au vent, parfois il est bien difficile de l’attraper. Même à mon petit niveau, on peut connaître ce genre de difficulté. Et puis… je travaille sur un joli projet encore un peu secret… Bon, aujourd’hui, je m’y suis remise et j’ai d’autres idées d’articles en tête : promis je continue sur ma lancée mensuelle. Si vous avez envie de me proposer des sujets, n’hésitez pas. Merci !