Parler d’allaitement ou « l’art de marcher sur des œufs »

Quel opportunisme allez-vous me dire en lisant ce titre : publier un tel article aux lendemains de Pâques… Que vous le croyez ou non, cela fait un moment qu’il me trotte dans la tête et que je viens juste de réaliser combien il était d’actualité.

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La semaine dernière, j’ai parlé d’allaitement à la radio, invitée par Sud Radio à une émission sur l’alimentation des enfants, à réécouter ici. Evidemment, après que j’ai émis le souhait que toutes les femmes soient informées sur l’allaitement, et non celui que toutes les femmes allaitent « forcément », est tombée la remarque fatidique « nous voilà rassurés parce que parfois les femmes qui allaitent, elles militent, elles nous font culpabiliser ». Nous y voilà. Comment parler d’allaitement sans faire culpabiliser ? Comment parler de la norme biologique d’alimentation du bébé humain sans être taxé de militantisme ? Je vous assure que cela revient vraiment à apprendre à marcher sur des œufs sans les casser…

Quel que soit l’interlocuteur et l’objet de notre rencontre, il y a toujours un moment où je me demande comment vont être perçus mes propos, si je vais réussir à travailler ou non avec cette personne, si le dialogue va être possible : élu ou responsable de médiathèque, auquel je propose d’accueillir notre exposition photo sur l’allaitement, responsable service petite enfance ou professionnel de santé à qui je présente ma profession de Consultante en lactation IBCLC, ou encore personne inconnue qui me demande quel est mon travail. Ces dernières années mon discours est, me semble-t-il, de plus en plus simple et clair : à mon sens, il n’y a pas à être pour ou contre l’allaitement qui est l’alimentation normale du nourrisson, mais plutôt à avoir envie ou pas envie d’allaiter et que cette envie ou non-envie soit basée sur des informations justes et non sur des rumeurs sans fondement. C’est sincèrement ce dont je suis convaincue.

Pourtant, parfois, c’est fatigant d’être sur une sorte de « qui vive » permanent, de tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de s’exprimer. Il y a des moments, où j’aurais envie de baisser les bras, ou plutôt, non, de lever le poing… j’aurais alors envie de m’exclamer « Réveillez-vous ! A l’heure où l’on parle de mal-bouffe, de problèmes de santé aux causes environnementales multi-factorielles, d’alimentation biologique, j’en passe et des meilleures, l’allaitement maternel est une véritable question de santé publique ! Un moyen simple de changer beaucoup de choses, pour peu qu’un minimum de soutien et d’attention lui soit accordé … ».

Seulement… à l’heure actuelle, en France, si l’on parle ainsi d’allaitement on a de forte chance de voir les portes se fermer. C’est récemment ce qui m’est arrivée : lorsque la responsable d’un lieu municipal d’accueil parents-enfants m’a dit « ici nous ne sommes ni pour ni contre l’allaitement » alors que je savais que les femmes allaitantes participant à des rencontres de parents devaient s’isoler pour ne pas allaiter devant les autres ; la neutralité affichée n’avait pour moi aucun lien avec la réalité et je n’ai pu m’empêcher de remettre en cause la manière d’agir, en étant consciente que c’était une erreur « stratégique » de ma part. Résultat : plus aucune chance pour moi d’intervenir d’une manière ou d’une autre dans cette ville… jusqu’au changement de responsable 😉

Peu importe en fait. Il y a tant à faire partout. Et j’ai encore appris de cette anecdote. L’allaitement n’a pas besoin d’être « défendu », il ne mérite pas un combat, une guerre, des militants. Il mérite bien plus : il mérite d’être vécu au jour le jour, de redevenir un acte banal et quotidien. Ce qui ne veut pas dire ne rien faire, ne plus en parler. Bien au contraire. Faire ce qui doit être fait, à la place que chacune, chacun, d’entre nous occupe, comme le dit si bien ma collègue Véronique Darmangeat dans son article que vous pouvez lire ici.

Alors mesdames qui allaitez, continuez à le faire partout, en toutes circonstances, sans, surtout, vous cacher de manière pudibonde voire honteuse, mais sans non plus dévoiler votre sein dans un souhait de provocation : cela donne matière à tous ceux qui pensent qu’ils doivent combattre l’allaitement…

Vivre simplement ce qui nous semble juste, en nous coupant du regard des autres, a pour moi beaucoup plus d’efficacité que de chercher à tout prix à imposer coûte que coûte son point de vue.

Je continue à rêver…

« Tu l’allaites encore ? !!! »

Je vais approximativement citer une phrase que j’apprécie particulièrement, et dont la maternité revient au Docteur Edwige Antier, pédiatre : « En France, quand une femme allaite à la naissance c’est une bonne mère, après 3 mois c’est une héroïne, après 6 mois, il faut qu’elle aille chez le psy. » Tout est dit. Pourquoi, bon sang, ne laisse-t-on pas vivre les femmes comme bon leur semble dans ce pays ?

christel&delphine_02Il y a quelques temps de cela, lorsque j’ai posté ici mon article adressé à Madame Badinter, je me suis vue reprendre, à juste titre, sur les préconisations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) telles que je les avais formulées. J’avais écrit « jusqu’aux 2 ans de l’enfant » alors que le texte exact est « jusqu’à l’âge de 2 ans, voire au-delà en fonction du souhait des mères. »

De nombreuses femmes disent « ne pas se sentir » d’allaiter un enfant qui marche. Elles en ont totalement le droit et nul n’a à juger le chemin choisi par chacune.

La seule question que l’on peut se poser serait, est-ce vraiment un ressenti qui leur appartient, ou un interdit posé par le regard de la société française sur l’allaitement d’un « grand » enfant ? (D’ailleurs à partir de quel âge un enfant devient-il « grand » ? Quand il tient assis ? Quand il a des dents ? Quand il marche ? Quand il mange toutes sortes d’aliments ?) Cela ne dérange personne de voir un bambin qui prend son biberon au petit-déjeuner ou au goûter, ou qui se promène à longueur de journée avec sa tétine en bouche (que ce soit celle du biberon ou de la sucette). C’est peut-être là qu’est le problème : associer le sein à une tétine, la femme à un objet. C’est bien mal connaître l’allaitement de bambin. On n’allaite pas un « grand » comme on allaite un nourrisson : les besoins de l’un et de l’autre diffèrent ; l’un doit se nourrir fréquemment, l’autre est dans la découverte à la maison, à la crèche, ou à l’école… Tout en continuant  d’apporter à ce dernier des éléments nutritifs adaptés, l’allaitement devient au fil du temps, de plus en plus, une forte source de réconfort et de réassurance.

Ne le nions pas, et c’est un bienfait, un lien particulier peut unir une maman et son enfant allaité. Mais est-ce forcément de l’ordre de la fusion « castratrice », « étouffante », « nocive » dès que l’enfant grandit, comme on peut souvent l’entendre dire ? J’ai vu et ai eu ( ! ) des bambins allaités qui sont partis à l’école sans sourciller dès le 1er jour ; d’autres qui ont eu plus de mal à s’adapter à la vie en collectivité. Pareil pour des bambins qui n’étaient plus allaités. Alors, serait-ce l’allaitement long l’unique responsable de tels comportements, ou bien simplement le caractère de chaque enfant, son histoire familiale, se manière propre de vivre tout changement ?

Une chose est certaine : je n’aurais jamais imaginé allaiter « un enfant qui marchait ». Je ne me voyais pas en « open bar » vers lequel trottinait bout d’chou pour se servir à volonté. Pourtant je l’ai fait. Bien au-delà du « raisonnable »… Mais à ma manière ; avec les limites qui me correspondaient et que j’ai posées à mes enfants. C’est cela que j’aimerai voir un jour en France : que chacune fasse EXACTEMENT ce qu’elle a envie de faire, en vivant son allaitement au jour le jour, et que tous trouvent cela normal.

Je continue à rêver…