« Ce sont MES seins ! »

Ni ceux de bébé, ni ceux de mon conjoint, ni ceux de qui que ce soit d’autre d’ailleurs, les MIENS, à moi toute seule !

Oui l’allaitement, tout comme la maternité et l’accouchement, nous invite à vivre notre corps de manière inédite. Parfois, il peut être difficile d’être autant sollicitée (rappelons qu’il est normal qu’un nourrisson tète 8 à 12 fois par 24 heures) ; d’autres fois, on est émerveillée par ses capacités incroyables ; parfois encore, se réveillent de vieilles blessures plus ou moins profondément enfouies, qui touchent à notre intégrité corporelle…

Autant de femmes différentes, autant de façons différentes d’être en lien avec son corps. Si l’on rajoute à cela la vision de « l’extérieur », des « gens », des « autres », de la « société », sur nos propres seins et l’utilisation que l’on en fait, on n’a pas fini de s’interroger sur ce qui est « bien » ou non de faire avec eux !

nueL’autre jour, j’ai accompagnée dans son allaitement une jeune femme qui avait beaucoup de mal pour allaiter partout. Il fallait que le moment de la tétée soit entouré d’un « rituel », de la mise en place « d’écrans » entre elle et l’entourage pour qu’elle se sente à l’aise même chez ses propres parents, plus encore dans sa belle-famille ou chez ses amis, ne parlons évidemment pas de lieux publics. Son bébé avait 3 mois.
J’ai toujours trouvé cette difficulté étonnante tant, dans mon ressenti à moi, le fait d’allaiter était un acte quotidien que je réalisais avec un naturel évident (pour information, personne, absolument personne, n’avait jamais allaité autour de moi, dans une famille pourtant fort nombreuse 😉 ). Etonnante aussi parce nombreux sont les seins que l’on voit en liberté sur la plage, ou « au balcon » de maintes mannequins et autres people, sans que cela ne pose souci à qui que ce soit. Etonnante encore, parce cela traduit, à mon sens, mais je peux me tromper dans mon interprétation, comme une honte, une gêne à utiliser ses seins dans leur fonction nourricière ; comme si tout de suite le regard des autres se posait sur notre intimité sexuelle, comme si nous faisions ainsi preuve de pornographie.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas pour moi de « brandir » ses seins à tout bout de champ, je me suis déjà exprimée sur le sujet et je reste convaincue qu’allaiter partout, de manière discrète fait beaucoup plus en faveur de l’allaitement, qu’un exhibitionnisme militant.

Bien sûr, nous ne pouvons dissocier nos seins de ce que nous avons pu vivre avec notre corps, de notre histoire intime, personnelle, voire sexuelle. En ce qu’elle a eu de positif comme de négatif. Et si justement l’allaitement nous permettait d’avancer dans une nouvelle découverte de notre corps et de nous réapproprier la totalité de ses aptitudes ?Certes aussi, tout un passif culturel (judéo-chrétien ou autre), sépare résolument la procréation du plaisir de la sexualité, comme s’il fallait se détourner de l’un pour mieux vivre l’autre, comme si l’un et l’autre étaient totalement incompatibles. Mère ou putain il n’y aurait aucune alternative ! Et bien non, nous avons eu la chance de naître femme (oui j’en suis convaincue ! ) et d’avoir ainsi à notre disposition une large palette de potentialités.

Au risque de choquer, j’aime à dire que nos seins sont « multifonctions », comme nous le sommes nous-mêmes en tant que mère et amante, et que c’est une grande richesse d’avoir ainsi autant de possibilités qui s’ouvrent à nous.

Alors, Messieurs, qui « voulez retrouver « vos » seins (heu, non désolée, ce sont ceux de votre femme) pour vous tout seul» (remarque que je trouve fort infantile et déplacée mais malheureusement déjà entendue), Mesdames, qui n’osez voir votre corps comme une merveille de la nature, échangez, discutez ensemble, interrogez-vous dans votre fort intérieur : et si je vivais mon (notre ;)) allaitement différemment ? Et si je changeais mon regard ? Et si je décidais de ne plus prêter attention à celui des autres et me plongeais dans celui de mon bébé ? Un cheminement qui peut se faire petit à petit et qui, je le pense sincèrement, vaut le détour. Pour que peu à peu tous, chacun de nous, « les gens », « les autres », changent eux aussi leur vision d’un sein nourrissant un tout-petit. Pour que peu à peu chaque femme, qu’elle allaite ou non, renoue avec une féminité totale qui n’exclut aucune facette.

Je continue à rêver.

 

Et le papa dans tout ça ?

L’autre jour, une jeune maman me faisait part de sa difficulté à apaiser son bébé le soir autrement que dans ses bras, au sein. Le papa se sentait impuissant et inutile puisque bébé « préférait » Maman. L’âge du nourrisson ? 6 semaines.

Seulement 6 semaines depuis que le bercement continuel s’était soudainement arrêté ; 6 semaines depuis que la rencontre de toute une vie avait débuté. Si on y réfléchit bien, qu’est-ce que 6 semaines, 3 mois, 6 mois voire 18 mois ou plus, au regard d’une vie entière ?

Peu et beaucoup à la fois. Peu parce que le temps passe à une vitesse phénoménale durant cette période, au rythme tout aussi incroyable des changements de bébé …. Beaucoup parce que l’on peut avoir hâte de dormir de manière plus continue, de voir se transformer les gazouillis en paroles, et les longues périodes de sommeil diurnes en joyeuses interactions.

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Papa peut aussi se sentir mis de côté, s’il a déjà vécu ainsi la période de grossesse, heureux mais légèrement envieux. J’ai un scoop pour vous : hommes et femmes ne sont pas égaux ; les uns peuvent faire des choses que les autres ne vivront jamais et vice-versa. Et ce n’est pas près de finir cette histoire. Pareil pour l’allaitement : c’est la suite naturelle de la grossesse (j’ai un peu de mal avec ce mot, allez savoir pourquoi…) et nous avons des attributs spécifiquement féminins qui nous permettent de la vivre. En plus, c’est pratique parce qu’il y a tout en un (enfin, en deux…) : alimentation, réconfort, câlins. Avouez qu’il y a de sacrés bonnes raison d’être  envieux de cela non ?

Alors comment faire pour trouver sa place en tant que Papa ? Au moment même où je commençais à écrire ce billet un « papallaitant » (comme il se nomme lui-même, cette « espèce » existe, allez voir sur Internet) a eu la bonne idée de m’envoyer son témoignage (Merci Emmanuel !) dont j’extrais ces quelques lignes : « Je pense que l’allaitement renforce les liens, pas seulement entre une mère et son enfant donc, mais aussi dans un couple car c’est un mode de vie familial, il est important que le père fasse partie de l’allaitement, et il est important qu’il COMPRENNE QUE C’EST IMPORTANT. Ce que j’aime en tous cas dans « notre » allaitement, c’est que j’en suis acteur et moteur aussi, et que c’est quelque chose que je vis, pas que je « vois vivre » ».

Concrètement qu’est-ce que cela donne un papa qui vit l’allaitement ? Il « protège » la bulle mère-bébé des remarques et présences intrusives ; il a une confiance totale dans la capacité de sa compagne à nourrir leur enfant, même dans les périodes de doutes et de difficultés ; il prend le relais dès que possible en promenant, câlinant, donnant le bain ; il ne baisse pas les bras même s’il ne comprend pas tout et n’y connait rien en allaitement : il aide sa compagne à trouver les ressources adéquates.

S’il vous plaît, Messieurs, votre rôle auprès de votre compagne et de vos enfants est primordial : acceptez seulement qu’il ne ressemble pas très vite à ce que vous aviez imaginé. Laissez du temps au temps ; ne cédez pas aux sirènes de notre société qui voudraient imposer l’autonomie quasi-immédiate à nos tout-petits. Comme imposer aux parents la place idéale de parents idéaux dès les premières heures de bébé.

Que chaque membre de cette nouvelle famille accepte de prendre le temps de l’apprivoisement.