« Parler d’allaitement aux enfants»

Quoi de plus naturel ? Plus on leur parlera des tétées du bébé à venir, de celles de la petite voisine, ou de celles qu’ils ont connues nouveau-né, (ou du non-allaitement d’ailleurs, en le replaçant dans le contexte du moment) et plus cela leur semblera être un acte banal et évident. Voir un enfant manger, n’a rien que de très quotidien pour un autre enfant. Leur parler d’allaitement, oui, et le leur montrer, donc.

On invite bien volontiers des petits à venir regarder des chatons, des veaux, des porcelets ou des chiots téter, alors pourquoi ne pas leur montrer un bébé faire de même ? Pourtant, comme cela semble difficile… Je recueille facilement des témoignages de jeunes mamans dont la belle-sœur ou la mère avait fait sortir les petits cousins de la pièce où elle allaitait sous prétexte de « la laisser tranquille », alors qu’en fait elle se sentait gênée qu’ils assistent à un tel « spectacle ». Ou de la jeune femme, assise tranquillement sur un banc du square, nourrisson au sein, qui observe une autre femme tirant fermement sa fillette par la main pour l’entraîner au loin, tandis que celle-ci reste fascinée par le si joli tableau…

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Diane en pleine découverte…

Ne parlons pas de l’immense majorité des albums pour enfants… Avez-vous déjà vu un album intitulé « Le lait de ma mère » ? Première photo, un kangourou qui tète ; deuxième, un veau sous sa mère ; troisième, un bébé qui tient un biberon, posé seul sur un canapé ! Quel paradoxe, quel titre totalement trompeur ! Hop un biberon de lait de vache pour le bébé ! Peut-être suis-je mauvaise langue et qu’il boit effectivement le lait de sa maman (on peut toujours y croire 😉 ) quoiqu’il en soit, il n’est même pas dans les bras de l’un de ses parents ! ! !

Souvenir plus ancien… je découvre avec mon fils une histoire de Pomme d’Api… La famille Noé (dont les parents sont vétérinaires) visite une ferme. Mignon comme tout, la maman cochon a du mal à nourrir sa très nombreuse progéniture. Hop un biberon (de lait de vache ?) pour lui donner un coup de main. Bon. Un soutien comme un autre. Page suivante, vite, vite, vite, il faut se dépêcher parce que l’on va donner…le biberon du veau ! ! ! Sous le regard attendri de sa maman ! Argggh… Remarquez… au moins, là, il boit bien le lait de sa mère 😉

Comment voulez-vous que les enfants y comprennent quelque chose ? Si depuis toujours la norme qui leur est montrée c’est le biberon, ils vont naturellement s’en saisir.

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…et Isaac aussi sur « A chacune son chemin pour un allaitement paisible »

Inverser cette tendance. Montrer et parler d’allaitement à tous. C’est ce qui nous a animé, Laura Boil et moi-même lors de la création de notre exposition photos et de notre livre « A chacune son chemin pour un allaitement paisible » (cf. l’article consacré à ce sujet ici ou encore là). Je ne résiste pas au plaisir de répéter peut-être une anecdote, tant elle est symbolique pour moi. Alors que je la connaissais à peine, Sandra, maman de deux enfants qui n’a jamais voulu allaiter a tout d’abord soutenu financièrement notre projet. Ensuite, vient la merveille des merveilles : « Tu sais, la dédicace sur ton livre, j’y tiens beaucoup, parce que le livre, il est pour Célia… » Célia, sa fille de 6 ans à l’époque. L’illustration exacte de mon souhait le plus profond : montrer à tous et à chacun que l’allaitement maternel existe ; qu’il n’y a pas qu’une seule voie ; qu’il peut y avoir une transmission positive de mère à fille sans qu’il n’y ait ni pression, ni forcément expérience précédente.

Oui, je veux parler d’allaitement à tous : aux vieux et aux jeunes, aux femmes et aux hommes, aux noirs et aux blancs, à ceux qui n’allaiteront jamais, aux homos et aux hétéros, aux martiens même s’il leur prenait l’envie de débarquer sur Terre ! Bien évidemment, aux enfants aussi. Pour maintenir vivant à jamais le lien lacté qui nous unit aux premiers hommes qui ont peuplé ce monde. Pour qu’un jour devienne exceptionnel le fait de donner à nos petits le lait d’une autre espèce que la leur.

Alors, parlons et montrons l’allaitement maternel aux enfants. Ils sont déjà notre « Demain ».

Je continue à rêver.

NB (Vous pouvez quand même trouver quelques albums qui parlent d’allaitement, notamment sur le groupe Facebook « Ma bibliothèque bienveillante »)

 

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir !»*

Je vais sans doute, par mes propos d’aujourd’hui, jeter un pavé dans la mare des femmes qui se battent pour l’allaitement. Peut-être même m’attirer les foudres de certaines. Tant pis. Je ne crois pas que l’on puisse m’accuser de ménager ma peine pour parler encore et toujours d’allaitement maternel et pour apporter ma petite goutte à ce que les choses bougent en sa faveur en France. J’invite celles et ceux d’entre vous qui ne me connaissent pas à lire les autres articles de ce blog ou à découvrir mon travail de consultante en lactation IBCLC, et notamment l’exposition et le livre que j’ai créés avec la photographe Laura Boil, en se rendant sur le site www.allaitement-achacunsonchemin.com. Ensuite, seulement ensuite, vous pourrez éventuellement crier au loup dans la bergerie 😉

A mon sens, l’allaitement devrait redevenir un acte d’une banalité affligeante, une action quotidienne qui ne soulève aucun commentaire, n’attire aucun regard positif ou négatif, puisse avoir lieu partout et en toute circonstance.

maudclarisse_05siteMais, car oui, il y a un mais. Un mais qui ne veut surtout pas annuler tout ce que je viens d’écrire. Qui apporte juste une nuance à mes mots. Je peux comprendre que l’on soit gêné par un sein totalement dénudé qui nourrit un tout-petit. Je peux entendre que l’on n’ait pas envie de voir une poitrine bien en chair inconnue se balader juste sous notre nez au cours du dîner. Je peux concevoir que l’on devienne entièrement réfractaire à l’allaitement, voire qu’on le critique de manière systématique, s’il nous est arrivé, ne serait-ce qu’une seule fois, d’assister à un allaitement mené « tous seins à l’air » dans un lieu auquel on ne s’attendait pas à cette scène.

Pour moi, en matière d’allaitement, l’ostentation systématique est contre-productive : elle aboutit à l’effet inverse recherché, à un rejet, à un dégoût, à la stigmatisation d’un acte pourtant si beau et si naturel.

Vous me direz des femmes se montrent « top less » sur la plage, dans les magazines, dans les films sans que cela ne choque personne. Ok, notre société s’est habituée à la nudité « instrumentalisée », source de fantasmes sexuels en tout genre, c’est un fait. Pensez-vous que cela serait la même chose si elles se promenaient ainsi au supermarché, au bureau, ou à la salle de gym ? Nous ne vivons pas dans un pays où il est commun d’avoir tout ou partie de notre corps dénudé, si tel était le cas, j’aurai suivi le mouvement avec joie, cela aurait été tellement plus simple pour allaiter (quoique je ne sois pas certaine que la blancheur de ma peau ait résisté longtemps à l’enthousiasme du soleil…). Tout est question de mesure, de respect de soi-même, des besoins de bébé, et des gens que nous côtoyons.

J’ai allaité partout, vraiment partout : rues, musées, supermarchés, transports en commun, églises, marches d’escalier d’un grand magasin, plages, aires de repos, refuges de montagne… Et pas question pour moi (cela n’existait pas à l’époque et tant mieux !) de revêtir une de ces affreuses capes d’allaitement qui en plus d’être laides, cachent la plus belle merveille qui soit au monde, notre bébé. Un tee-shirt qui se lève, un autre qui se baisse, et hop le tour est joué. Si l’on veut voir ce qui se passe vraiment, on le voit, sinon on passe son chemin. Souvenir du métro parisien : bébé au sein, en face de moi une vieille dame musulmane. Nous avons échangé un regard plein de connivence, que de bienveillance dans cet échange muet !

J’ai entendu des femmes dirent « j’ai dégainé mon nichon » pour contrecarrer un propos ou un regard désagréable sur le fait qu’elles nourrissaient leur bébé à leur sein. Comme si leur corps était une arme. Comme si leur sein ne méritait pas de porter un joli nom. L’allaitement ne mérite ni combat, ni guerre. Il vaut bien mieux que cela. Le plus joli des sourires, un bisou sur le front de bébé et un allaitement qui se poursuit envers et contre tout (tous ;)) me paraissent être bien plus efficaces pour, doucement mais sûrement, faire avancer la cause qui nous tient tant à cœur.

Je continue à rêver…

* Tartuffe de Molière, acte III, scène 2